Les nouvelles substances psychoactives : quels usages en Belgique ?

La consommation des nouvelles substances psychoactives (NPS) destinées à contourner les lois sur les drogues a fait l’objet de différentes enquêtes en Belgique et en Europe. Qui les consomme et avec quelles conséquences pour la santé ?

 

 

Cet article fait suite à un précédent ayant abordé l’origine de ce phénomène et l’ampleur du marché de ces nouveaux produits à l’échelle belge et internationale.

 


 
Qui consomme les nouvelles substances psychoactives (NSP) en Belgique ?



La consommation de NSP semble actuellement anecdotique en Belgique. Ainsi, selon l’enquête de santé par interview réalisée en 2018 par Sciensano, seulement 0,3% de la population générale belge en aurait déjà consommé (dont environ 1% des jeunes de 15-24 ans), un niveau de prévalence similaire à celui enregistré en 2013. Cette enquête sous-estime la réalité, notamment parce qu’elle ne touche pas les publics marginalisés et institutionnalisés. Une enquête européenne ciblant les 15-24 ans avait estimé son usage au moins une fois dans la vie à 8% en Belgique en 2014 (contre 4% en 2011). La moyenne européenne était également de 8%, mais dans certains pays l’usage était plus élevé (22% en Irlande, 13% en Espagne et en Slovénie, 12% en France).



Plus récemment, l’enquête réalisée par Eurotox en 2019 auprès d’un échantillon de plus de 1750 usagers de drogues vivant en Wallonie ou en Région bruxelloise a montré que 17% des usagers en ont déjà consommé au moins une fois dans la vie, 10,2% au cours des 12 derniers mois, et 8,5% au cours des 30 derniers jours. L’usage régulier de ces produits est peu élevé (4% d’usage régulier au cours des 12 derniers mois parmi l’ensemble des répondants).


Cette enquête confirme donc que l’usage de NSP n’est pas très élevé en Belgique, y compris parmi les personnes qui ont l’habitude de consommer des produits illégaux. Néanmoins, elle montre aussi que les motivations à l’usage de ces produits sont variées, et suggère qu’il existe des sous-groupes d’usagers (e.g. les usagers opportunistes qui consomment ces produits lorsque l’occasion se présente, les usagers intéressés par les états modifiés de conscience ou psychonautes, les usagers qui cherchent à éviter d’être positifs aux tests antidrogues, les usagers qui cherchent à rester dans la légalité ou encore les usagers intéressés par le faible coût d’achat des NSP), qui pourraient avoir des profils d’usage, voire des profils sociodémographiques distincts (voir Stévenot & Hogge, 2021 ; voir aussi Simonis et al., 2020).



En Flandre, une enquête menée en milieu festif en 2018 suggère également que l’usage de ces produits est limité. Ainsi, parmi les fêtards interrogés, seulement 6,5% ont déclaré en avoir déjà consommé, dont la moitié il y a plus de 12 mois (Rosiers et al., 2019).



Signalons aussi que, lors d’une étude réalisée par l’INCC (voir Richeval et al., 2018), 10,5% des prélèvements salivaires analysés en laboratoire après avoir été collectés chez des conducteurs belges suspectés d’être sous influence de drogues se sont révélés être positifs à une ou plusieurs NSP, alors que le test de dépistage salivaire était négatif. Cette tendance est observable dans d’autres pays. Il semble pertinent de développer des procédures de dépistage permettant de détecter la conduite sous influence de NSP.

 

 

Quels sont les risques pour la santé ?



Toutes les NSP ne sont pas forcément dangereuses, mais le manque de connaissance concernant leur profil pharmacologique et toxicologique expose les usagers à des risques variés et indéterminés (intoxication voire décès en cas de surdosage, cardiotoxicité ou neurotoxicité en cas d’usage régulier, etc.). Le risque de surdosage est particulièrement élevé avec les molécules dont la dose active peut être de quelques mg, voire inférieure à 1mg (c’est le cas de nombreux opioïdes et cannabinoïdes). Ce risque est majoré avec les produits reconditionnés ou grossièrement manipulés, ainsi qu’avec ceux qui sont en circulation sur le marché noir en substitut de drogues classiques.

 

Les intoxications et décès se sont multipliés en Europe ces dix dernières années (y compris quelques-uns en Belgique) et ont mené à ce jour à l’interdiction de 32 molécules à l’échelle de l’Union Européenne (e.g. PMMA, méphédrone, MDPV, différents cannabinoïdes et opioïdes de synthèse). Diverses initiatives ont permis de réduire la morbidité et la mortalité liées à ces substances (services de testing, forums d’usagers, système d’alerte précoce, brochures d’information, conseils de réduction des risques…).




Perspectives


La consommation de NSP semble actuellement peu élevée en Belgique, en comparaison à ce qui est observé dans d’autres pays de l’UE. Cette disparité peut s’expliquer en partie par des différences culturelles (propension à effectuer des achats sur Internet, présence de smartshops dans certains pays, dangerosité perçue, etc.), mais elle est certainement aussi due à des variations au niveau de la disponibilité des drogues illégales classiques. Ainsi, dans le cas de la Belgique, qui est un petit pays avec une forte densité de population et dans lequel la production et l’importation de drogues illégales est importante, les produits classiques (cannabis, MDMA, amphétamines, héroïne, cocaïne…) sont facilement disponibles et avec un rapport qualité/prix satisfaisant pour le consommateur. Cette grande disponibilité des drogues classiques semble expliquer le faible intérêt des usagers de drogues belges pour les produits alternatifs.



Il existe tout de même dans notre pays une niche d’usagers de NSP, qui se tournent vers ces produits pour différentes raisons. Ponctuellement, on retrouve aussi des NSP sur le marché noir à un niveau local, en substitution de drogues classiques. Cette tendance reste heureusement limitée. Enfin, signalons que la crise sanitaire et économique liée à la COVID-19 pourrait potentiellement raviver l’offre et la demande de ce type de produits, en particulier en cas de pénurie de drogues classiques ou de flambée des prix sur notre territoire. Mais cela ne semble pas être le cas actuellement.



Article précédent : Les nouvelles substances psychoactives : une offre abondante
 



Michaël HOGGE

Docteur en sciences psychologiques

Chargé de projets scientifiques
Eurotox asbl – Observatoire Alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles


 

Références :

Richeval, C. et al., (2018), New psychoactive substances in oral fluid of French and Belgian drivers in 2016, International Journal of Drug Policy, 57, 1-3.


Rosiers et al., (2019), Uitgaansondersoek 2018, Brussel, VAD.


Simonis S. et al., (2020), Awareness of users and motivational factors for using NPS in Belgium, Harm Reduction Journal.


Stévenot C., & Hogge, M. (2021), Tableau de bord 2020 de l’usage de drogues et ses conséquences socio-sanitaires en Région wallonne , Bruxelles, Eurotox.